La vie est faite de vicissitudes. L’aide apportée à autrui est souvent bien mal récompensée. Monsieur R., retraité, va faire les frais de sa bienveillance un jour d’automne. Le conducteur d’une tractopelle d’une société de travaux publics s’affère alors à décharger des blocs de bétons ferraillés d’un camion benne. Un des blocs s’étant bloqué au câble de manœuvre de la porte de la benne, le conducteur demande à Mr R. qui se trouve à proximité s’il peut lui prêter la main, ce que ce dernier fait sans hésiter. Suite à un mouvement de pelle, un des blocs se déplace et emporte une partie des doigts de Mr R.
Imaginant que des poursuites risqueraient de mettre la société de TP en faillite, Mr R. se refuse dans un premier temps à engager la moindre action.
A la suite d’un premier contact avec le cabinet, une démarche amiable est finalement initiée auprès de l’assurance responsabilité civile du véhicule assuré par la société. Après de nombreuses relances, et démonstrations, l’assureur reconnaît l’application de la législation spécifique aux accidents de la circulation. Une expertise amiable est alors mise en place.
Le médecin de la compagnie minimise toutefois l’ampleur des préjudices subis, soutenant que Mr R. garderait malgré ses amputations une réelle autonomie, et entendant par là qu’il n’aurait pas besoin de recourir à une assistance en aide humaine.
Son dossier est donc réorienté devant le tribunal judiciaire et une expertise médicale indépendante confiée à un expert judiciaire spécialisé en chirurgie de la main est demandée et obtenue.
Bien qu’évaluant le déficit fonctionnel permanent de Mr R. à 22%, l’expert refuse d’évaluer le besoin en tierce personne à titre viager au-delà de 2 heures par semaine. La demande d’un avis sapiteur ergothérapeute est notamment refusée par cet expert, qui estime avoir suffisamment d’expérience pour se passer d’un avis extérieur…
Cet avis en ergothérapie est donc sollicité de façon indépendante et produit aux débats devant le tribunal judiciaire d’Annecy.
Il est alors demandé au tribunal, sur la base de ce rapport sapiteur, de réévaluer sensiblement le besoin en tierce personne avant consolidation et de retenir à titre viager une assistance nécessaire de 1H30 par jour.
A l’occasion de cette procédure, l’assurance entend contester son obligation indemnitaire, déclarant que la législation sur les accidents de la circulation (loi Badinter), n’aurait finalement pas à s’appliquer et opposant une prétendue faute réduisant ou excluant l’indemnisation de Mr R.
L’assurance refuse donc à titre principal de verser la moindre indemnisation à Mr R. et subsidiairement n’offre de verser qu’une somme d’environ 105 000 €…
Par un jugement du 2 mai 2024, le tribunal judiciaire d’Annecy retient bien l’application de la législation propre aux accidents de la circulation, conduite à s’appliquer dans tous les lieux où la circulation est possible, même si ce lieu n’est normalement pas destiné à la circulation routière.
Le tribunal rappelle au demeurant qu’en vertu des dispositions de l’article 246 du code de procédure civile, le juge n’est pas lié par les constatations et conclusions du technicien.
C’est ainsi que la juridiction valide complètement l’évaluation faite par l’ergothérapeute du besoin en assistance.
L’indemnisation accordée à Mr R. est ainsi fixée à près de 386 000 €.
L’assureur n’ayant du reste pas respecté son obligation de proposer une indemnisation à caractère suffisant, au stade de la provision et dans les délais impartis, se voit sanctionné par une condamnation d’avoir à verser des pénalités de retard au double du taux légal, selon les dispositions des articles L211-9 et L211- du Code des assurances.
Les pénalités, ayant pour assiette l’indemnisation totale et la créance des tiers payeurs avec un calcul sur plus de 5 ans, se chiffrent alors à une somme notable de 150 000 €.
C’est ainsi que Mr R. est finalement reconnu dans ses droits. Il aura fallu plusieurs années de combat judiciaire, et tenir tête tant à la compagnie d’assurance qu’aux médecins impliqués dans ce processus, pour que Mr R. bénéficie d’une indemnisation intégrale de ses préjudices.
Le juge n’est donc jamais tenu par des conclusions d’expertise si on est en mesure d’y apporter une critique objective et constructive à celles-ci.
Le rôle des ergothérapeutes est trop souvent critiqué à tort dans l’évaluation des besoins en assistance, par des médecins qui ont le sentiment de perdre de leur autorité. Le travail des ergothérapeutes est pourtant complémentaire et apporte sensiblement à l’analyse des besoins des victimes. Ils devraient être plus volontiers associés aux expertises médicales.