Certains postes de préjudices méritent une attention toute particulière. Il en va notamment du préjudice professionnel évalué au titre des pertes de gains professionnels, mais également au travers du poste de préjudice « incidence professionnelle ».
Ce poste de préjudice est certainement un des plus complexes à évaluer, tant au regard de la diversité des éléments qui le compose que des différents modes de chiffrage.
Le poste « incidence professionnelle » permet de rechercher l’indemnisation de la pénibilité, de la dévalorisation sur le marché du travail, du désœuvrement de ne plus pouvoir travailler.
Lorsque l’accident a un retentissement sur les cotisations et droits à la retraite, il convient d’en tenir compte au titre de ce même poste de préjudice.
Les juges qui en constatent l’existence en son principe disposent d’une faculté d’appréciation souveraine quant à son évaluation, bien qu’ils soient limités par la somme globale réclamée en indemnisation de ce poste de préjudice. (Cass, 2ᵉ civ, 26 novembre 2020, 19-10.523 ; n° 19-17755).
Ainsi, lorsque la perte des droits à la retraite fait l’objet d’une évaluation à part entière, notamment au titre de l’incidence professionnelle, il est vivement recommandé de réaliser une étude comparative des droits à la retraite de la victime avant et après son accident afin de déterminer objectivement le montant de la perte annuelle qu’elle subit à ce titre.
Il importe toutefois de rester vigilant sur la date de départ de la retraite à retenir pour faire courir la capitalisation de la perte annuelle subie par la victime, celle-ci conditionnant bien évidemment le montant réclamé au titre de l’incidence des droits à la retraite.
Certains régimes de retraite n’hésitent pas à minorer les droits de leurs affiliés en leur appliquant un coefficient de solidarité lorsque ces derniers remplissent les conditions pour obtenir une retraite de base à taux plein. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une pénalité.
Il apparaît donc essentiel de faire valoir devant le juge le report du point de départ de la retraite de la victime afin que la victime n’ait pas à souffrir de cette pénalité au moment de la liquidation de ses préjudices.
Les juges ne sont pas insensibles à ce raisonnement et en tiendront nécessairement compte dans l’appréciation du dossier.
Le cabinet a ainsi eu l’occasion de présenter la situation d’un chauffeur de poids lourds, accidenté à l’occasion du travail, ayant développé notamment une phobie de la conduite et s’étant réorienté professionnellement avec de lourdes conséquences sur ses droits à la retraite.
Sur le principe, cette personne, assistée par le cabinet de Me Weber, était censée pouvoir partir à l’âge de 62 ans à la retraite, ayant acquis ses 173 trimestres.
L’assureur produisait une simulation d’un expert-comptable allant en ce sens pour défendre ce départ à 62 ans.
Devant le tribunal judiciaire de Grenoble, le cabinet devait alors exposer les répercussions de cet âge de départ à 62 ans sur le plan de la retraite complémentaire du client.
Affilié au régime de retraite ARRCO-AGIRC, en partant à 62 ans à la retraite, le client aurait vu ses droits minorés de 10% pendant 3 ans, alors qu’un départ différé lui aurait permis de majorer ses droits pendant 1 an de 10% à 20%.
Dans ces conditions, compte tenu de cette pénalité déguisée, il était mis en avant que, très probablement, le client aurait poursuivi son activité jusqu’à l’âge de 65 ans !
Éclairé sur ces conséquences, le tribunal judiciaire de Grenoble devait suivre cette analyse au terme d’un jugement du 1ᵉʳ avril 2021, n° 18/00363, retenant :
« Eu égard à la possibilité pour les salariés cotisant aux régimes ARCCO- AGIRC de bénéficier d’une majoration de la retraite complémentaire en cas de poursuite d’activité, il y a lieu de retenir que M. B, bien qu’ayant commencé à cotiser à l’âge de 17 ans, aurait fait valoir ses droits à la retraite à 65 ans » (…) « L’hypothèse d’un départ à la retraite à 65 ans était pertinente au regard du caractère incitatif de la majoration de la retraite complémentaire ».
Article co-rédigé par Me Wilfried WEBER et
Mme Stéphanie LEMEUR, juriste